[Compte-rendu] - Dîner-débat avec Jean-Pierre JOUYET

 
 

Le 16 octobre, le Cercle Orion a reçu Jean-Pierre JOUYET, ancien haut fonctionnaire, membre du Gouvernement et ambassadeur, pour évoquer l’efficience de l’Etat et les coulisses du pouvoir.

Enarque de la promotion « Voltaire » de 1978-1980, avec entre autres François HOLLANDE, Michel SAPIN, Ségolène ROYAL, Dominique de VILLEPIN et Henri de CASTRIES, Jean-Pierre JOUYET rejoint à sa sortie l’inspection générale des Finances puis est nommé au cabinet du ministre de l'Industrie et de l'Aménagement du territoire et à celui de Jacques DELORS, président de la Commission européenne. Directeur adjoint de cabinet du Premier ministre Lionel JOSPIN de 1997 à 2000, M. JOUYET est nommé directeur du Trésor puis chef du service de l'Inspection générale des finances, où sera recruté Emmanuel MACRON à sa sortie de l’ENA.

A l’aune des ouvrages publiés par notre invité et notamment le dernier en date, Est-ce bien nécessaire Monsieur le Ministre ? (éd. Albin Michel, 2023), nous avons pu identifier trois raisons de l’inefficience de l’Etat.

Tout d’abord, la centralisation à outrance implique selon notre invité une incarnation des politiques publiques à travers les institutions nationales et l’exécutif, ce qui nuit tant aux libertés données aux collectivités locales qu’à la visibilité des initiatives et du contrôle parlementaires. Cela fait partie des causes du désenchantement politique qui s’exprime par l’abstention électorale et la défiance vis-à-vis des représentants élus. A titre d’exemple, on peut évoquer la digitalisation des services publics, notamment des impôts, décidée par la loi. La fermeture d’un certain nombre de services publics de proximité notamment en milieu rural combinée à l’imposition d’un moyen de communication en ligne avec l’administration qui n’est pas maîtrisé par tous crée une distance à l’égard des pouvoirs publics et une défiance causée par la perte du contact humain.

Ensuite, le millefeuille administratif français génère un enchevêtrement institutionnel. Les maires ont perdu en compétences à la faveur de la montée en puissance des différents établissements publics de coopération intercommunale, lesquels visent à rassembler les moyens de plusieurs communes, le cas échéant sur une seule mission pour les syndicats intercommunaux à vocation unique.

Alors que les maires sont identifiés par les Français comme l’élu local de référence et que les élections municipales sont celles qui connaissent le plus fort taux de participation après les élections présidentielles, l’illisibilité des dispositifs de coopération entre les collectivités locales suscitent un désintérêt croissant de la part des citoyens en plus d’un sentiment d’impuissance des maires. En ce qui concerne les départements et les régions, des modifications constantes de leurs prérogatives ainsi que la création de nouvelles compétences par la loi de manière insuffisamment anticipée et concertée génère aussi des incompréhensions et des aberrations financières.

Enfin, le pullulement des autorités administratives indépendantes (AAI) entrave selon notre invité l’action des pouvoirs publics. L’existence d’organes hiérarchiquement indépendants des ministres et disposant d’un pouvoir de contrôle et de sanction administrative sur des activités réglementées n’est pas contestée. Toutefois, de la création des AAI ces vingt dernières années est devenue un réflexe du législateur pour réguler un secteur complexe nécessitant une surveillance et un contrôle impartiaux. Le risque avéré est que certaines de ces AAI se muent en un véritable pouvoir ne disposant pas des limites fixées à l’exécutif et au législatif. Ainsi, certaines AAI agissent de fait comme des représentants d’intérêts dans les processus décisionnels auprès du Parlement et du Gouvernement alors même qu’elles sont chargées de trancher les litiges opposant les particuliers et les pouvoirs publics selon les règles de fond et procédurales décidées dans les formes constitutionnelles par ces mêmes instances démocratiques.

Par ailleurs, ce dîner-débat a permis d’aborder « l’envers du décor », les coulisses du pouvoir politique français. Les discussions sur les processus de recrutement et de sélection des postes à responsabilité ont suscité des réflexions sur l’éthique de la gouvernance et de la fonction de gouvernement. Doté d’une expérience exceptionnelle en la matière, notre invité a pu interroger de façon critique la pratique en la matière qu’il a connue tout au long de son cursus professionnel.

La qualité des échanges qui se sont poursuivis longuement a permis d’éclairer le Cercle Orion sur un des enjeux fondamentaux devant guider l’action publique à l’avenir. Le prochain dîner-débat aura lieu le 4 décembre avec Gilles BABINET, co-président du Conseil national du numérique et digital champion de la France auprès de la Commission européenne, dans le cadre de notre Initiative Révolution et Puissances de l’Intelligence Artificielle.